Lucie Cousturier, artiste néo impressionniste

Exposition présentée du 16 juin au 14 octobre au Musée de Vernon

Tout à la fois critique d’art au regard affuté, peintre néo-impressionniste au talent reconnu, écrivain, engagée pour la connaissance et l’émancipation du peuple Noir, Lucie Cousturier présente, au début du XXème siècle, une personnalité hors du commun. Ses amis artistes Paul Signac et Maximilien Luce ne tarissent pas d’éloges à son endroit, tout comme le critique d’art Félix Fénéon.

Mais quand on est femme dans les années 1900, le talent, aussi incontestable soit-il, ne suffit pas à sortir de l’ombre et l’artiste aux multiples talents est aujourd’hui totalement oubliée du grand public.

Tout naturellement, le musée de Vernon a choisi de rendre hommage à cette artiste-femme, en présentant, du 16 juin au 14 octobre, la première exposition monographique jamais consacrée à Lucie Cousturier. Il poursuit ainsi la démarche, engagée depuis quelques années, de valorisation des femmes artistes (Portraits de femmes, Rosa Bonheur, Blanche Hoschedé-Monet…). Cette exposition fait également écho à l’exposition Henri-Edmond Cross, peindre le bonheur, présentée du 27 juillet au 4 novembre par le musée des impressionnismes – Giverny, dont le musée de Vernon est partenaire. Henri-Edmond Cross, Lucie Cousturier, Paul Signac, Théo van Rysselbergue ou encore Maximilien Luce appartiennent en effet tous au même mouvement néo-impressionniste et se fréquentent ou correspondent régulièrement, de même qu’ils participent aux mêmes expositions.

Lucie Cousturier Près de 70 œuvres permettent de découvrir la personnalité et l’art de Lucie Cousturier, depuis ses études sur des autoportraits ou des natures mortes, jusqu’à l’aquarelle, qu’elle privilégiera sur la fin de sa carrière. Lors de la Première Guerre mondiale en effet, alors qu’elle habite Fréjus sur la Côte d’Azur, un camp de tirailleurs sénégalais est installé près de sa villa. Fascinée par ces étrangers, elle consacrera désormais une grande partie de son temps à leur apprendre le français et se tournera alors vers l’aquarelle, plus spontanée que la peinture à l’huile, et vers l’écriture. En 1920, elle publie un premier récit, Des inconnus chez moi, Et, juste après la guerre, part à la rencontre de ses nouveaux amis en Afrique occidentale française (AOF) et en rapporte deux nouveaux récits, Mes inconnus chez eux, tomes 1 et 2, de nombreuses aquarelles des paysages et personnages rencontrés là-bas et la volonté farouche d’accompagner le peuple Noir sur la route de l’émancipation.

Le commissariat scientifique de l’exposition est attribué à Adèle de Lanfranchi, spécialiste de l’œuvre de l’artiste et auteure de Lucie Couturier, 1875-1925 (Paris, 2008).

Si quelques une des peintures présentées proviennent de collections publiques (musée d’Orsay, musée de l’Annonciade à Saint-Tropez, musée de Grenoble), une grande majorité est conservée dans des collections privées et certaines œuvres n’ont jamais été exposées auparavant.

« L’œuvre, si originale et si séduisante, de Madame Lucie Cousturier nous apparaît comme un grave et joyeux poème lyrique, passionnément, scrupuleusement écrit d’après la vérité.  »

Georges Lecomte, critique d’art, 1907

L’artiste

On en sait peu sur les jeunes années de Lucie Brû. Ses parents, Léon Casimir Brû (1837-1918) et Apolline Manette Comyn (1837-1911) sont à la tête d’une importante manufacture parisienne de poupées alors célèbre, créée en 1867. Les Brû ont fabriqué les premières poupées de caoutchouc et ont acquis une renommée importante. Grâce à son journal ainsi qu’à la correspondance qu’elle adresse à son père, on sait qu’elle s’intéresse à la musique puis à la peinture à l’âge de 14 ans.

Dans une lettre adressée à son père en novembre 1895, elle explique qu’une certaine Madame Oulé lui donne des cours de dessin et qu’elles vont, toutes les deux, rendre visite à Henri Marre artiste peintre ami d’Henri Martin. Exigeante, elle considère que ses premières tentatives ne sont pas concluantes : « Et moi, tenterai-je à nouveau quelques essais dans la peinture ? Je ne crois pas. Je voudrais tour à tour acquérir les différentes choses qui excitent l’admiration. Je m’irrite de n’y point parvenir. C’est bien là l’ambition mais si je la pense satisfaire en quelque façon elle ne me plaît plus, je la méprise et je souris de moi. » D’une nature à la fois ambitieuse, exigeante et terriblement peu sûre d’elle, Lucie Brû semble douter de façon permanente de ses facultés artistiques.

La personnalité artistique qui a le plus influencé la jeune femme dans sa carrière artistique est assurément Paul Signac. Les circonstances et la date précise de leur rencontre sont inconnues.

Lucie Cousturier Elle a vraisemblablement lieu durant l’année 1897, alors que Lucie est âgée de 21 ans. Elle fréquente l’atelier parisien que Signac occupe à partir de novembre 1897, situé à Paris, rue La Fontaine. A cette date, Paul Signac tient une place de premier ordre au sein du mouvement néo-impressionniste dont il est devenu le chef de file après la mort prématurée de Georges Seurat en 1891.

Peut-être plus encore que Paul Signac, la personne qui lui fait rencontrer peintres, critiques d’art et écrivains et l’a introduite dans la vie artistique du Paris de 1900 est son futur mari Edmond Cousturier.

Du 19 mars au 5 avril 1900, Lucie Brû organise avec Félix Fénéon la première rétrospective consacrée à Georges Seurat, dans les locaux de la Revue Blanche, 23 Boulevard des Italiens, à Paris. Elle réunit cinquante-deux peintures, quarante-cinq dessins. A cette occasion, Léon Casimir Brû achète le chef d’œuvre de Seurat : Un Dimanche à la Grande Jatte (aujourd’hui conservé à l’Art Institute de Chicago) et l’offre à sa fille et à son gendre à l’occasion de leur mariage.

Celui-ci a lieu le 15 mai 1900 en l’église de la Sainte-Trinité dans le neuvième arrondissement de Paris. De l’union de Lucie et Edmond Cousturier naît leur fils unique François, le 6 janvier 1901 à Paris.

De 1901 à 1921, Lucie Cousturier participe chaque année à l’exposition du Salon de la Société des Artistes indépendants. Créé en 1884 en réaction au Salon officiel par les artistes de l’avant-garde qui n’y étaient pas acceptés, ce salon était alors un des rares lieux d’exposition publique des œuvres des tenants du néo-impressionnisme.

Lucie Cousturier y expose aux côtés de ses amis peintres Paul Signac, Maximilien Luce, Henri-Edmond Cross, Charles Angrand, et Théo van Rysselberghe. Cette participation au Salon des Artistes Indépendants marque son entrée officielle dans la vie artistique où les femmes sont très minoritaires.

En 1901, pour sa première participation, elle envoie donc huit toiles, dont une appartient à Félix Fénéon (n° 215 Paysage à Saint-Tropez). Le titre des œuvres qu’elle envoie nous indique ses thèmes de prédilection, que nous retrouvons dans le parcours de cette exposition : « Promenade au bois, Coin de jardin, Bois de Boulogne, Nature morte, Intérieur, Fleurs des champs, Tulipes, Chrysanthèmes, Matin en Provence, Vue de Canebiers … ». Entre 1900 et 1921, ses lieux de vie constituent ses motifs principaux : Paris, Saint-Tropez et la Provence, où le couple Cousturier acquiert une maison en 1912. A Paris, elle aime peindre le Bois de Boulogne, les scènes de parc, des vues des toits. En Provence, elle privilégie des vues de campagne aux marines. Lucie Cousturier aime également à peindre des natures mortes, genre dans lequel elle excelle particulièrement : l’arrangement décoratif des fleurs et des fruits, l’harmonie colorée qui en découlent servent parfaitement son style ample et sa palette vive.

Très appréciée du milieu artistique belge (en particulier du peintre Théo van Rysselberghe et du poète Emile Verhaeren), elle participe au début de l’année 1906, à la demande d’Octave Maus, au Salon de la Libre Esthétique de Bruxelles. Cette même année, elle expose également à la Sécession Berlinoise.

A la fin de l’année 1906, Lucie Cousturier prépare sa première exposition personnelle. Elle est organisée par Eugène Druet, qui a ouvert sa galerie en novembre 1903 dans l’annexe de son atelier de photographie d’art, au 114 du faubourg Saint-Honoré, à Paris. L’exposition se tient du 16 au 31 janvier 1907, elle rassemble 39 peintures et 32 dessins, elle est bien reçue par la critique parisienne.

Lucie Couturier maîtrise pleinement la théorie de la peinture néo-impressionniste : son ouvrage consacré à Seurat, paru en 1922 témoigne de son intime connaissance de cette peinture exigeante. Néanmoins, elle s’éloigne de la stricte application de la peinture divisionniste et choisit d’appliquer la couleur pure sur sa toile en de larges touches carrées, dans un style qui lui est propre.

A partir de 1915, Lucie Cousturier délaisse peu à peu la peinture pour se consacrer à l’aquarelle, mais surtout à l’écriture. Ses articles sur les artistes (Georges Seurat, Paul Signac, Henri-Edmond Cross, Ker-Xavier Roussel, Maurice Denis) constituent des témoignages de première main d’une grande sensibilité et d’une remarquable intelligence.

Au cours de l’année 1923, la santé de Lucie Cousturier se dégrade rapidement. Elle se consacre alors principalement à l’écriture. Elle décède dans la nuit du 15 au 16 juin 1925, à l’âge de 49 ans.

C’est à partir de 1943, date du décès d’Edmond Cousturier, que la peinture de Lucie Cousturier a été de moins en moins exposée. L’exposition organisée par le musée de Vernon permet de remettre en lumière sa peinture qui était tombée dans l’oubli.

« Les belles couleurs engagent à vivre, comme les parfums,
comme les paroles fières ou généreuses des amis »

Lucie Couturier, 1898

Lucie Cousturier

L’exposition

C’est parce que sa carrière de peintre fut courte et qu’elle ne datait que rarement ses œuvres que le musée de Vernon a choisi de présenter Lucie Cousturier au travers des ses sujets de prédilection plutôt que dans un parcours chronologique plus classique.

Des portraits d’elles réalisés par ses amis Théo van Rysselberghe et Maximilien Luce, ainsi que ses autoportraits permettent d’abord d’entrer dans l’intimité de la jeune femme. Ces premières peintures, et les études correspondantes, montrent également combien elle travaillait de façon académique, recourant à l’autoportrait comme si elle était son propre sujet d’expérimentation.

Elève de Paul Signac, auteure notamment d’un ouvrage consacré à Georges Seurat en 1922, la jeune peintre connaît parfaitement les principes du divisionnisme et en maîtrise la technique. Cependant, elle le trouve trop contraignant et choisit de s’en libérer. Elle conserve la juxtaposition des couleurs pures, mais utilise une brosse qui produit des formes carrées, s’éloignant des touches habituelles du néo-impressionnisme.

Le parcours de l’exposition se poursuit avec la section consacrée aux natures mortes, un sujet que Lucie Cousturier affectionne particulièrement et qui met bien en valeur son style ample et sa palette vive. Cette section est sans celle qui permet le plus de comprendre la démarche de l’artiste.

D’une façon générale, Lucie Couturier choisit ses sujets dans son entourage immédiat. C’est ainsi que les portraits qu’elle réalise sont ceux de son fils ou de femmes de son milieu. Une fois encore, ses carnets de dessins permettent d’appréhender l’évolution du travail jusqu’à l’œuvre achevée.

Les paysages que peint Lucie Cousturier sont aussi des lieux qu’elle connait bien : les toits de Paris et le Bois de Boulogne, quelques marines en Bretagne, et desLucie Cousturier paysages architecturés, comme à Diénay en Bourgogne. Chez elle, sur la Côte d’Azur, ses paysages de prédilections demeurent les jardins les champs et les maisons, bien plus que le bord de mer.

Elle peint des tableaux clairs, francs et harmonieux dont Félix Fénéon écrivit qu’ils étaient « d’une saveur aiguë où jouaient les seules teintes du prisme dans un subtil lacis d’arabesques. C’étaient aussi d’élégantes, prestes et elliptiques aquarelles. »

Lucie Cousturier Et justement, la dernière section, consacrée à l’Afrique, marque une rupture dans l’œuvre de l’artiste. Lorsque les tirailleurs sénégalais arrivent près de sa maison à Fréjus, la découverte de ces étrangers devient sa priorité et elle abandonne la peinture à l’huile au bénéfice de l’aquarelle qui, à l’instar de l’écriture, lui permet d’apporter un témoignage plus spontané. Néanmoins, à Fréjus comme en Afrique par la suite, elle conserve ce regard de peintre qui lui fait si bien distinguer et utiliser les couleurs, en particulier les plus vives.

Si cette exposition n’est pas exhaustive en raison de la difficulté à rassembler des œuvres essentiellement conservées chez des personnes privées, elle permet néanmoins de montrer les différents styles que l’artiste a embrassés dans sa carrière et elle reste proche du ration de la production de l’artiste.

« Elle a découvert, elle a pénétré, elle a révélé tout un continent : l’Afrique.
Les gens qui s’étonneraient de cette  affirmation et qui ne sont point encore sensibles
à cette découverte sont ceux-là mêmes qui confondent
les découvertes de Newton et les inventions d’Edison  »

 Léon Werth, romancier et critique d’art, 1925